Le Venezuela vit-il une urgence humanitaire? La mobilisation, il
y a dix jours, pour les convois d’aide étasunienne le laissait
entendre. Chiffres et échos du terrain sont beaucoup plus nuancés.
lundi 4 mars 2019 Benito Perez
Des Vénézuéliens fouillant une benne à ordure à la recherche de
nourriture: l’image choc présentée il y a huit jours à Nicolás Maduro
par le journaliste étasunien Jorge Ramos1
apparaît accablante pour le président vénézuélien qui nie l’existence
d’une crise humanitaire. Reste que des images semblables auraient pu
être tournées dans la plupart des pays de la planète. S’il ne fait aucun
doute que l’économie vénézuélienne va mal – cinq années de récession,
hyperinflation –, l’ampleur réelle des dégâts fait débat: crise sociale
ou situation d’urgence humanitaire? En l’absence de données
incontestables, la propagande est reine et les acteurs humanitaires bien
embarrassés.
Pour l’opposition vénézuélienne, ses alliés internationaux et la
plupart des médias, l’affaire est claire: la population «meurt de faim»
et du manque de médicaments. Se basant sur une enquête universitaire,
elle affirme que 80% des ménages vivent en situation d’insécurité
alimentaire et que près de deux Vénézuéliens sur trois se couchent la
faim au ventre. Des pertes de poids faramineuses voire des cas de
cannibalisme sont même rapportés.
Début février, le leader de l’opposition, Juan Guaidó, alertait: 300 000 Vénézuéliens (soit 1% de la population) risquaient de «mourir dans les prochains jours» si l’aide humanitaire étasunienne ne franchissait pas la frontière. Il qualifiait le gouvernement, opposé au passage des convois, de «quasi-génocidaire».
Relativement anciens au vu de l’aggravation de la crise, les chiffres du Panorama sont-ils encore d’actualité? Cacheraient-ils – comme au niveau mondial – de mortifères disparités? Les données communiquées par Caritas Venezuela, l’une des principales œuvres d’entraide du pays, ne permettent pas d’accréditer ces hypothèses. Selon le monitoring mis en place auprès d’enfants de moins de 5 ans par cet organe de l’Eglise catholique – dont la hiérarchie soutient activement l’opposition –, la situation nutritionnelle aurait eu plutôt tendance à s’améliorer en 20183 sous l’effet des mesures gouvernementales anti-inflation.
Réalisée à travers 46 paroisses «vulnérables» de sept Etats (Capital, Vargas, Miranda, Zulia, Lara, Carabobo et Sucre), l’étude rapporte un taux de 9,6% d’enfants moyennement ou sévèrement dénutris sur un panel global relativement homogène, avec une pointe à 13,4% dans l’Etat de Miranda.
Quel est l’IPC vénézuélien? «Nous ne disposons pas de cette donnée», répond la porte-parole du PAM, Tiphaine Walton. Présent en Colombie et «attentif» à la situation dégradée du Venezuela, l’organisme précise qu’il saurait répondre rapidement en cas de demande de Caracas.
De fait, le CICR intervient au Venezuela uniquement sur l’aspect médical. «Des besoins croissants se font sentir: en 2019, nous avons doublé notre apport, à 18 millions de francs», précise-t-elle. L’action est centrée sur la formation médicale, notamment d’urgentistes pour soigner les blessés par balle, et sur le renouvellement des équipements hospitaliers.
Quid de la pénurie de médicaments souvent rapportée? Et du fléau de la dénutrition apporté par la crise? «Nous avons surtout constaté un problème de personnel, les effectifs sanitaires ont diminué à cause de la migration», répond la communicante du CICR. Qui n’exclut pas, à terme, l’apport de médicaments au Venezuela. «Nous nous adaptons constamment aux besoins du terrain mais sans nous substituer à l’Etat», explique-t-elle.
«Le Venezuela est sujet à un embargo», rappelle de son côté Pierluigi Testa, gestionnaire de programmes d’urgences chez Médecins sans frontière, quand on l’interroge sur la difficulté de se procurer des médicaments. Bien que présente à travers trois programmes (santé reproductive, mentale et paludisme), l’ONG n’importe elle non plus aucun produit pharmaceutique au Venezuela. Mais ne veut confirmer ou infirmer l’étendue réelle de la pénurie.
Sur la douzaine d’organisations que nous avons contactées5, seule une petite minorité – Caritas, CICR, MSF, UNICEF – est présente au Venezuela. Pourquoi cette absence d’un pays qu’on annonce en crise aiguë? «Nous avons envisagé une intervention mais avons préféré agir en Colombie, pays dans lequel nous sommes déjà présents», admet Ivana Goretta, représentante de Terre des hommes (Tdh), une ONG pourtant active dans 48 pays. A l’instar de nombreuses de ses consœurs, la fondation basée à Lausanne met donc l’accent sur l’accueil des migrants vénézuéliens. Un enjeu fort pour Tdh, précise Mme Goretta, car les mineurs non accompagnés constituent une portion conséquente du million de personnes récemment arrivées en Colombie, chiffre confirmé par le Programme alimentaire mondial.
Même perplexité chez Action contre la faim-Espagne qui, malgré sa présence en Colombie et au Pérou, admet ne pas disposer d’éléments probants sur la situation alimentaire du pays voisin. «Le Venezuela ne fait pas volontiers appel à l’aide et, quand il le fait, pose pas mal de conditions», avance Benedetta Lettera, comme tentative d’explication à la désaffection des humanitaires.
Reste que la solidarité internationale sait aussi se frayer un chemin vers le Venezuela. La semaine dernière, 7,5 tonnes de médicaments russes étaient ainsi déchargés à Caracas sous l’égide de l’OMS. C’était la seconde livraison du même type depuis avril 2018, mais la première d’une nouvelle aide globale de 300 tonnes annoncée par Moscou.
Dans le camp occidental, loin des camions US de la discorde, l’Union européenne est depuis juin 2018 un gros contributeur, avec 35 millions d’euros en aides sanitaires, alimentaires, pour la prévention des conflits et l’accès à l’eau potable. En pleine crise des camions, une rallonge était même envisagée.
La Suisse, quant à elle, a consacré 10 millions de francs à la crise vénézuélienne entre 2016 et 2018, 50%-60% étant mobilisés pour le soutien aux migrants arrivant en Colombie, le solde étant destiné à des projets au Venezuela. Pour 2019, une enveloppe de 6 millions de francs doit encore être validée.
Des sommes limitées mais qui montrent que les canaux d’entrée ne manquent pas. Canaux parmi lesquels l’ONU et ses agences demeurent la voie privilégiée. Depuis l’éclatement de la crise, l’UNICEF indique avoir fourni 100 tonnes de produits nutritionnels et 30 tonnes de médicaments et de fournitures médicales. L’an dernier, l’OMS et le Bureau humanitaire des Nations unies (OCHA) en faisaient parvenir 50 tonnes.
«Plus de 300 membres de six organisations [de l’ONU] œuvrent dans le pays et aucune indication ne laisse penser qu’ils aient pu être empêchés», indiquait le mois dernier à ONU Info Rhéal LeBlanc, chef des relations presse à Genève.
L’obstacle, s’il en est, est bien davantage financier. Car sur ce plan, la mobilisation de la communauté internationale est moins intense que dans les discours: sur les 109,5 millions de dollars demandés par l’ONU pour venir en aide à 100 000 personnes atteintes de malnutrition aiguë, les Etats membres n’en ont versé que 49,1 millions… BPZ
Début février, le leader de l’opposition, Juan Guaidó, alertait: 300 000 Vénézuéliens (soit 1% de la population) risquaient de «mourir dans les prochains jours» si l’aide humanitaire étasunienne ne franchissait pas la frontière. Il qualifiait le gouvernement, opposé au passage des convois, de «quasi-génocidaire».
Légère amélioration
Cette description catastrophiste ne trouve toutefois pas confirmation dans les (rares) chiffres dont disposent les organisations internationales. Emanation de quatre agences de l’ONU, le Panorama de la sécurité alimentaire2, publié l’automne dernier à Santiago du Chili, estime que 11,7% des Vénézuéliens étaient sous-alimentés en 2017. Un chiffre relativement haut en comparaison continentale, où la moyenne est de 6,1%, mais loin de suffire à décréter l’urgence alimentaire. Il est ainsi à peine plus élevé que le taux planétaire (10,9%) ou que celui du continent asiatique (11,4%). En comparaison, la voisine région caraïbe dépasse les 17% de sous-alimentés (45% en Haïti!).Relativement anciens au vu de l’aggravation de la crise, les chiffres du Panorama sont-ils encore d’actualité? Cacheraient-ils – comme au niveau mondial – de mortifères disparités? Les données communiquées par Caritas Venezuela, l’une des principales œuvres d’entraide du pays, ne permettent pas d’accréditer ces hypothèses. Selon le monitoring mis en place auprès d’enfants de moins de 5 ans par cet organe de l’Eglise catholique – dont la hiérarchie soutient activement l’opposition –, la situation nutritionnelle aurait eu plutôt tendance à s’améliorer en 20183 sous l’effet des mesures gouvernementales anti-inflation.
Réalisée à travers 46 paroisses «vulnérables» de sept Etats (Capital, Vargas, Miranda, Zulia, Lara, Carabobo et Sucre), l’étude rapporte un taux de 9,6% d’enfants moyennement ou sévèrement dénutris sur un panel global relativement homogène, avec une pointe à 13,4% dans l’Etat de Miranda.
Pas de crise pour le PAM
Pour le Programme alimentaire mondial (PAM), ces taux sont effectivement pertinents à l’heure de décider ou non d’une intervention d’urgence, mais pas suffisants. L’agence spécialisée de l’ONU se fie à un indicateur agrégeant encore l’accès au marché et à l’eau, la diversité de l’alimentation ou le taux de mortalité. L’IPC, pour Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, comprend cinq niveaux de vulnérabilité, dont les trois derniers sont synonymes de crise humanitaire et requièrent une intervention urgente. En Amérique du Sud, aucun pays n’émarge à ces catégories regroupant globalement une cinquantaine de pays, selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires 20184.Quel est l’IPC vénézuélien? «Nous ne disposons pas de cette donnée», répond la porte-parole du PAM, Tiphaine Walton. Présent en Colombie et «attentif» à la situation dégradée du Venezuela, l’organisme précise qu’il saurait répondre rapidement en cas de demande de Caracas.
Migration des médecins
Actif, lui, de longue date au Venezuela, le CICR se refuse également à «qualifier» la crise vénézuélienne. «Il n’est pas dans notre mission de mettre des étiquettes, notre tâche est de répondre aux besoins que nous percevons sur le terrain», réagit Patricia Rey, sa cheffe de presse pour la région.De fait, le CICR intervient au Venezuela uniquement sur l’aspect médical. «Des besoins croissants se font sentir: en 2019, nous avons doublé notre apport, à 18 millions de francs», précise-t-elle. L’action est centrée sur la formation médicale, notamment d’urgentistes pour soigner les blessés par balle, et sur le renouvellement des équipements hospitaliers.
Quid de la pénurie de médicaments souvent rapportée? Et du fléau de la dénutrition apporté par la crise? «Nous avons surtout constaté un problème de personnel, les effectifs sanitaires ont diminué à cause de la migration», répond la communicante du CICR. Qui n’exclut pas, à terme, l’apport de médicaments au Venezuela. «Nous nous adaptons constamment aux besoins du terrain mais sans nous substituer à l’Etat», explique-t-elle.
«Le Venezuela est sujet à un embargo», rappelle de son côté Pierluigi Testa, gestionnaire de programmes d’urgences chez Médecins sans frontière, quand on l’interroge sur la difficulté de se procurer des médicaments. Bien que présente à travers trois programmes (santé reproductive, mentale et paludisme), l’ONG n’importe elle non plus aucun produit pharmaceutique au Venezuela. Mais ne veut confirmer ou infirmer l’étendue réelle de la pénurie.
Chute brutale
Devant ce tableau beaucoup plus nuancé, le sentiment d’urgence, le choc ressenti par nombre de Vénézuéliens pourrait s’expliquer, au-delà de l’instrumentalisation politique, par la vitesse à laquelle la situation des habitants s’est péjorée. Les données de l’ONU en attestent: entre 2016 et 2017, 600 000 Vénézuéliens ont basculé dans la sous-alimentation, fléau pourtant quasi éradiqué en 2010 (3,6%). Pour nombre d’entre eux, c’était une redécouverte: en 2000, avant qu’Hugo Chávez n’initie ses programmes sociaux financés par le pétrole (Missions), un Vénézuélien sur six (16,3%) souffrait de la faim. ILa très relative mobilisation internationale
Crise sociale ou urgence humanitaire? Nous avons eu toutes les peines à récolter l’avis des ONG, agences de coopération ou organisations internationales. Aux prudents no comment attendus devant un sujet aussi épineux que le Venezuela s’est ajouté un imprévu: l’absence de la plupart de nos interlocuteurs sur le terrain.Sur la douzaine d’organisations que nous avons contactées5, seule une petite minorité – Caritas, CICR, MSF, UNICEF – est présente au Venezuela. Pourquoi cette absence d’un pays qu’on annonce en crise aiguë? «Nous avons envisagé une intervention mais avons préféré agir en Colombie, pays dans lequel nous sommes déjà présents», admet Ivana Goretta, représentante de Terre des hommes (Tdh), une ONG pourtant active dans 48 pays. A l’instar de nombreuses de ses consœurs, la fondation basée à Lausanne met donc l’accent sur l’accueil des migrants vénézuéliens. Un enjeu fort pour Tdh, précise Mme Goretta, car les mineurs non accompagnés constituent une portion conséquente du million de personnes récemment arrivées en Colombie, chiffre confirmé par le Programme alimentaire mondial.
Même perplexité chez Action contre la faim-Espagne qui, malgré sa présence en Colombie et au Pérou, admet ne pas disposer d’éléments probants sur la situation alimentaire du pays voisin. «Le Venezuela ne fait pas volontiers appel à l’aide et, quand il le fait, pose pas mal de conditions», avance Benedetta Lettera, comme tentative d’explication à la désaffection des humanitaires.
Reste que la solidarité internationale sait aussi se frayer un chemin vers le Venezuela. La semaine dernière, 7,5 tonnes de médicaments russes étaient ainsi déchargés à Caracas sous l’égide de l’OMS. C’était la seconde livraison du même type depuis avril 2018, mais la première d’une nouvelle aide globale de 300 tonnes annoncée par Moscou.
Dans le camp occidental, loin des camions US de la discorde, l’Union européenne est depuis juin 2018 un gros contributeur, avec 35 millions d’euros en aides sanitaires, alimentaires, pour la prévention des conflits et l’accès à l’eau potable. En pleine crise des camions, une rallonge était même envisagée.
La Suisse, quant à elle, a consacré 10 millions de francs à la crise vénézuélienne entre 2016 et 2018, 50%-60% étant mobilisés pour le soutien aux migrants arrivant en Colombie, le solde étant destiné à des projets au Venezuela. Pour 2019, une enveloppe de 6 millions de francs doit encore être validée.
Des sommes limitées mais qui montrent que les canaux d’entrée ne manquent pas. Canaux parmi lesquels l’ONU et ses agences demeurent la voie privilégiée. Depuis l’éclatement de la crise, l’UNICEF indique avoir fourni 100 tonnes de produits nutritionnels et 30 tonnes de médicaments et de fournitures médicales. L’an dernier, l’OMS et le Bureau humanitaire des Nations unies (OCHA) en faisaient parvenir 50 tonnes.
«Plus de 300 membres de six organisations [de l’ONU] œuvrent dans le pays et aucune indication ne laisse penser qu’ils aient pu être empêchés», indiquait le mois dernier à ONU Info Rhéal LeBlanc, chef des relations presse à Genève.
L’obstacle, s’il en est, est bien davantage financier. Car sur ce plan, la mobilisation de la communauté internationale est moins intense que dans les discours: sur les 109,5 millions de dollars demandés par l’ONU pour venir en aide à 100 000 personnes atteintes de malnutrition aiguë, les Etats membres n’en ont versé que 49,1 millions… BPZ
Notes
1. | ↑ | Maduro a refusé de poursuivre l’entretien et l’équipe d’Univision, principale chaîne hispanophone des Etats-Unis, a été interpellée puis expulsée. |
2. | ↑ | Panorama 2018 de la seguridad alimentaria y nutricional en América Latina y el Caribe, publié par la FAO, l’OMS, le PAM et l’UNICEF. |
3. | ↑ | «Monitoreo de la situación nutricional en niños menores de 5 años, Julio-Septiembre 2018». |
4. | ↑ | Publié par le FSIN, réseau regroupant la FAO, le PAM et un centre de recherche (IFPRI). |
5. | ↑ | ACF-Fr/Esp, CICR, MSF, MdM-CH/Esp, TdH-Lausanne, Save the Children, Caritas, EPER, Oxfam, PAM, UNICEF. |